Attention ! Ceci est un résumé de l’article consacré dans l’Internet Encyclopedia of Philosophy.
Introduction
- Traditionnellement, la philosophie analytique a délaissé la question du sens de la vie. Chacun des termes de cette question pose lui-même question. De plus, cette question sous-entendu toujours plus ou moins des hypothèses religieuses. Il est donc probable que si cette question ait un sens, la réponse soit négative.
- Cependant, depuis deux décennies, la question a fait l’objet d’un nombre croissant de travaux. La plus grande partie se concentre et défend un sens dans la vie, en examinant notamment les conditions nécessaires et suffisantes d’une vie significative. Une autre partie moins importante examine les raisons qui nous poussent à parler de « sens ».
1. Le contexte humain
- La question du sens surgit spontanément lorsqu’on s’interroge sur une décision importante, lorsque nous sommes piégés dans un travail désagréable ou la routine, lorsqu’une maladie grave est diagnostiquée, face au deuil, face à l’immensité de la nature, à l’existence de l’univers, tout cela s’achèvera-t-il dans l’amour ou un silence absolu ?
- Bon nombre de ces questions révèlent notre capacité à sortir de nous-mêmes, à prendre du recul, à demander « pourquoi ? » On peut prendre un point de vue plus large, sub specie aeternitatis, cosmique.
- C’est parce qu’on cherche souvent un sens cosmique, à contrario de la majorité de la philosophie analytique, que les hypothèses transcendantes sont invoquées.
2. Le contexte analytique contemporain : les prolégomènes
- Longtemps, les philosophes analytiques ont pensé que la question du sens de la vie était vide de sens. On retrouve cette opinion dans Le Guide du voyageur galactique de Douglas Adams où un super ordinateur répond 42, car la question n’était pas claire : la réponse pourrait être 42 comme n’importe quelle autre.
- Dans le sillage du positivisme logique, certains philosophes analytiques ont répondu que seul le langage peut avoir un sens, cela ne peut pas être une propriété des faits et donc de la vie elle-même. Nous utilisons peut-être un mauvais mot pour exprimer quelque chose de réel : une émotion d’admiration devant l’existence. Mais éprouver un tel sentiment et poser une question significative sont deux choses différentes.
- Mais le sens ne se limite pas à la sémantique.
- (A) Les significations de « sens ». On peut entendre par « sens » : (1) la création de sens – compréhension ? – (intelligibilité, clarification, cohérence), (2) le but (ou l’intention), (3) la signification (valeur).
- (1) Donner un sens. On peut l’approfondir en parler d’ajustement de propriété. Les mots ou les faits ont un sens s’ils s’emboîtent correctement. Il n’y a pas de sens à demander ce qui brille plus que la source de lumière la plus brillante. Il y a un manque d’adéquation entre les mots (ou les évènements).
- Le sens concerne l’adéquation des parties au tout. À ce titre, on peut s’interroger sur le contexte global de nos vies dans l’univers (Thomson). On peut se préoccuper existentiellement des origines, du but, de la signification, de la valeur, de la souffrance, la mort, le destin. Nous voulons des réponses à ces questions qui s’emboîtent de façon satisfaisante.
- (2) Le but. Beaucoup supposent qu’il existe un but cosmique autour duquel ordonner sa vie, qui exigerait probablement une transcendance, un Dieu. On pourrait néanmoins nier un but cosmique tout en conservant l’idée de but. Un sens dans la vie pourrait s’organiser autour d’objectifs autodéterminés.
- On distinguer les actions volontaires et involontaires, consenties et non-consenties. Beaucoup ne veulent pas traverser une vie au hasard, ou déterminée de façon non-consentie. Une vie significative devrait donc impliquer la volonté, l’engagement, une vie vécue à dessein. Nous ne voulons pas être éloignés des buts qui guident nos vies.
- Le but et la compréhension sont souvent liés. Le but, projeté vers l’avenir, ordonne au présent nos actions. Un fil téléologique relie les épisodes distincts de nos vies. Une vie sans but est menacée d’intelligibilité. Selon Alasdair MacIntyre, lorsqu’une personne se plaint que sa vie n’a pas de sens, c’est souvent pour dire que le récit de sa vie est devenu intelligible et qu’elle ne pointe pas vers un but.
- (3) Importance. Il faut entendre par là importance, influence, impact, valorisation. Nous opposons les discussions significatives à celles qui sont triviales. Des objets, des évènements, une découverte, une donnée peuvent être significatifs car importants.
- Au contraire, « cela ne signifie rien pour moi » n’a pas d’importance, c’est sans conséquence.
- Il est possible que l’importance dépende d’un référentiel et soit donc variable. Ce qui est important pour une personne, une question, etc. ne l’est pas pour une autre.
- Le sens a une dimension affective, la valeur peut être émotionnelle (comme un objet hérité).
- Une vie qui a du sens a donc de l’importance, une valeur positive. Mais pour qui ? Selon quelle norme ?
- (B) Le mot « vie ». Le mot « vie » est polysémique. Il peut désigner (1) une vie humaine individuelle, (2) l’humanité dans son ensemble, (3) toute vie biologique, (4) toute l’existence de l’espace-temps (tout), (5) les aspects importants de la vie humaine.
- (C) L’article défini. L’article « le » suppose qu’il n’y a qu’un seul sens, ce qui viole l’intuition selon laquelle c’est le genre de chose qui varie d’une personne à l’autre.
- Mais il y a peut-être une bonne raison. On peut mettre ainsi en avant un sens objectif, le vrai sens. Et malgré tout, il pourrait y avoir un sens accomplit par diverses sources. Si par exemple le sens est l’épanouissement personnel, rien n’empêche que chacun trouve son propre moyen d’y arriver.
- On pourrait aussi penser qu’il y a un unique sens au niveau cosmique, compatible avec une variété de façons de mener sa vie au niveau individuel. Par exemple, un Dieu peut avoir un plan global. Le sens du « sens » s’entend alors différemment selon les cas.
- (D) Sens de la vie vs sens dans la vie. C’est une distinction standard en philosophie. Le sens de la vie a une porté cosmique. On demande un sens cosmique, ou un sens individuel du point de vue du cosmos.
- Le sens dans la vie est axé sur le sens personnel, au quotidien, indépendamment du sens de la vie, au niveau de l’univers dans son ensemble.
- (E) Quelle est le sens de x ? Il n’est pas nécessaire de le comprendre comme une explicitation de la signification. La question a un sens dans d’autres contextes (Nozick).
- Il arrive souvent que nous demandions quel est le sens d’un fait dont nous aimerait connaître son implication plus large (N.T. Wright). Face à une bagarre, ou face au tombeau vide de Jésus, on peut se demander quel est le sens de ces faits.
- Il pourrait en aller de même pour le sens de la vie. Certains évènements de notre vie sont marquants, nous avons besoin de contexte. Nous avons besoin d’un sens.
- (F) Stratégies d’interprétation.
- (1) L’approche de l’amalgame. C’est l’approche privilégiée actuellement. Il s’agirait d’une question pluriel, regroupant plusieurs questions.
- (2) L’approche de la question unique. Seachris et Thomson pensent que c’est une question unique. Une approche prometteuse consiste à chercher une explication à nos questions concernant les origines, le but, la signification, la valeur, la souffrance et le destin. Une seule explication devrait suffire. Elle peut être considérée comme une vision du monde ou un métarécit. Elle fournit des ressources à la fois pour le sens dans la vie et de la vie. Le cosmique et le personnel sont considérés comme inséparables.
- Cette approche met l’accent sur la compréhension, étroitement liée au concept de vision du monde. Les visions du monde fournissent des réponses à l’ensemble des questions existentielles importantes.
- Historiquement, cette approche est justifiée. Dilthey disait déjà que les visions du monde sont motivées par le désir de répondre à l’énigme de l’existence. Qu’est-ce que le monde ? Que suis-je sensé y faire ? Comment finirait-je ma vie ? D’ou je viens ? Etc.
- Les questions qui motivent la construction d’une vision du monde, selon Dilthey, sont les mêmes auxquelles répondent la question du sens de la vie.
3. Théories du sens dans la vie
- Ici, le débat porte sur ce qui donne un sens à la vie d’une personne, et non un sens cosmique. Les quatre points de vue les plus influents sont : (1) le surnaturalisme, (2) le naturalisme objectif, (3) le naturalisme subjectif, (4) le naturalisme hybride, (5) le nihilisme.
- (A) Le surnaturalisme. Le surnaturalisme soutient que l’existence de Dieu et une relation appropriée avec lui est nécessaire et suffisant pour assurer une vie significative.
- Métaphysiquement, le sens de la vie exige Dieu, car, par exemple, les valeurs objectives en dépendent (Cottingham, Craig). En plus, l’orthodoxie et l’orthopraxie peuvent s’ajouter.
- Selon le formule de Pascal dans ses Pensées, il y a un vide dans le coeur de l’homme, qui est le souvenir d’un vrai bonheur, un vide que l’on cherche à remplir en vain, car c’est un vide infini que seul l’infini peut remplir.
- Selon Augustin encore, dans ses Confessions, notre coeur s’agite jusqu’à ce qu’il trouve la paix en Dieu.
- Certains surnaturalismes ne considèrent pas l’existence de Dieu comme nécessaire, mais de fait accroit le sens de la vie. Ce surnaturalisme modéré est compatible avec le naturalisme (Metz).
- Le surnaturalisme est lié au problème du mal, à la vie après la mort et à la justice ultime. Dieu semble nécessaire pour créer et diriger le récit de l’univers, et dans un certain sens nos vies individuelles vers une bonne fin. Beaucoup s’inquiètent du fait que dans le naturalisme la vie semble absurde s’il n’y a pas de justice ultime et de rédemption pour les maux dans le monde, si le dernier mot est la mort et la dissolution, le silence pour toujours.
- (B) Le naturalisme subjectif. Selon le naturalisme, la nature seule suffit à fournir un sens. Le naturalisme subjectif pense que ce qui constitue le sens varie d’une personne à l’autre, dépend de désirs, des objectifs ou de la réalisation de ce que l’on croit réellement important. Se soucier ou aimer profondément quelque chose confère un sens à la vie (cf. Francfort). Certains subjectivistes insistent sur les états affectifs comme l’épanouissement ou la satisfaction, constituant l’essence d’une vie significative (Taylor).
- On reproche au subjectivisme d’être trop permissif, permettant à des activités bizarres ou immorales de fonder le sens de la vie. Beaucoup pensent que les soins profonds et l’amour ne suffisent pas à conférer un sens à la vie. Le sens de la vie peut-il être de mesurer tous les brins d’herbe de son jardin ? De mémoriser le catalogue Netflix ? De torturer pour le plaisir ? Une intuition forte est qu’une valeur objective est nécessaire. Le subjectivisme se défend en faisant appel à l’intersubjectivisme, à la communauté. Il convient de noter qu’on peut être subjectiviste sur le sens et objectiviste sur la morale. Ainsi, un tortionnaire pourrait mener une vie pleine de sens mais immorale. Le sens et la morale peuvent entrer en conflit.
- (C) Le naturalisme objectif. L’objectivisme affirme qu’il faut une connexion appropriée avec des réalités indépendantes de l’esprit. Mais les versions diffèrent sur la nature de cette connexion. Pour certaines, il s’agit d’une simple orientation vers une valeur objective, d’autres nécessitent un lien causal plus fort. Il est possible de se tromper sur ce qui confère un sens à la vie (contrairement au subjectivisme). Une chose est significative en vertu de sa nature intrinsèque, indépendamment de notre valorisation ou croyance. Le désir ne suffit pas.
- L’objectivisme peut avoir plus de mal à rendre compte du fait que les atypies neurales peuvent impliquer d’être profondément épanoui par une activité qui manque de valeur intrinsèque. Une fascination pour la plomberie ne confère pas un sens à la vie à une personne qui n’est pas plombier. Le subjectivisme en rendrait mieux compte.
- Il est possible également que les objectivistes confondent sens et moralité, alors que l’une peut être objective et pas l’autre.
- (D) Le naturalisme hybride. Beaucoup pensent qu’il faut trouver un moyen terme entre subjectivisme et objectivisme. Susan Wolf a proposé l’une des théories les plus influentes en la matière, la théorie de l’ajustement-accomplissement. Elle combine à la fois des conditions subjectives et objectives. « Le sens survient lorsque l’attraction subjective rencontre l’attractivité objective ». Il n’y a pas de sens à désirer des choses sans signification, ni à faire des choses sensées sans envie.
- En tant qu’elles sont naturalistes, ces théories sont incompatibles avec le surnaturalisme, mais il pourrait en exister des versions surnaturalistes. On pourrait trouver un accomplissement subjectif dans le désir de Dieu, ou insister sur l’objectivité de la valeur du divin, ou encore soutenir une forme hybride.
- (E) Le nihilisme : un naturalisme pessimiste. Littéralement, la vie n’a pas de sens. Le nihilisme peut être compris comme une combinaison de surnaturalisme et naturalisme : (1) Dieu ou un domaine spirituel est nécessaire au sens de la vie, (2) or rien de tel n’existe, (3) donc rien n’a de valeur et de sens. D’autres nihilismes insistent sur l’ennui ou l’insatisfaction, caractérisant suffisamment la vie pour la rendre dénuée de sens.
- (F) Contours structurels du sens dans la vie. Le sens peut signifier la création de sens, le but et la signification. On peut assembler organiquement ces trois sens : une vie qui a du sens est une vie qui s’emboite correctement (création de sens) en vertu d’une orientation appropriée autour d’objectifs (but), d’autres activités et de relations qui comptent et ont une valeur positive (signification).
4. La mort, la futilité et une vie pleine de sens
- Le sens de la vie est étroitement lié aux problèmes de la mort, de la futilité et des fins en général. On retrouve ce lien dans l’Ancien Testament, l’Ecclésiaste, Tolstoï, Camus, et la philosophie contemporaine. C’est une opinion commune que la vie est vaine si tout ce que nous sommes et faisons n’aboutit finalement à rien. La mort et le naturalisme conduisent au nihilisme.
- Il faut préciser ce qu’on entend par « futilité ». Dans les cas ordinaires, une chose est futile lorsque l’accomplissement de ce qui est visé ou désiré est impossible. Il est vain d’essayer d’exister et de ne pas exister en même temps, de sauter sur Mars ou d’écrire un roman de 300 pages en une heure.
- L’angoisse ressentie est proportionnelle au degré de futilité perçue. Un sportif définitivement blessé percevrait sa vie comme futile, des années d’entrainement seraient vains et l’objectif de vie serait à jamais insatisfait.
- Est-ce ce sentiment de futilité qui habite ceux qui sont préoccupés par la mort et la fin de l’univers dans un monde sans Dieu ? Il y a un écart entre les désirs humains et ce qu’un univers totalement silencieux et indifférent peut offrir. Si à notre échelle des choses peuvent avoir de l’importance (les relations, les réalisations personnelles, culturelles, les progrès scientifiques) cela n’a aucune importance à l’échelle cosmique, tout cela n’est qu’un détail éphémère. Tout cela semble absurde et futile, tous deux liés, associés à une idée d’incongruité profonde ou d’un manque d’ajustement.
- Ainsi, la futilité est liée à l’espoir et aux attentes concernant l’épanouissement et la longévité. Une chose qui ne dure pas assez longtemps peut être vue comme futile. Un château fort en sable ou un bonhomme de neige patiemment construit et détruit par des enfants en deux minutes peut sembler futile. Mais cela semble moins vain si la construction persiste plusieurs jours. Il doit durer assez longtemps pour atteindre son objectif.
- Trisel pense que la durée de vie humaine est suffisante pour assouvir des aspirations fondamentales et accomplir des objectifs centraux. D’autres pensent que seule l’éternité est assez longue pour rendre justice à des aspects de la condition humaine de valeur superlative : le bonheur et l’amour (engagement envers le vrai bien et le bien-être d’autrui). Certaines choses sont si sublimes, que leur extinction, même après des millénaires, est vraiment tragique. L’éternité semble être une condition pour éviter la futilité. Nous voulons que les choses les plus importantes de la vie, telles que le bonheur, l’amour et les relations, durent indéfiniment. Si le naturalisme est vrai, tout s’éteindra, et beaucoup craignent que cela rende la vie futile.
- La futilité est donc parfois liée à la fin de quelque chose. Beaucoup craignent que le sens de la vie soit compromis si à la fin tout cesse. C’est ce que certains appellent l’argument du résultat final (Wielenberg) : la vie est absurde à cause de la « mauvaise » fin. Cet argument peut également existé sous forme de degrés : la vie est plus ou moins absurde, mais la fin est toujours importante dans l’évaluation de la vie.
- Pourquoi penser que la fin a un tel pouvoir ? Beaucoup répondent que ce pouvoir est un privilège arbitraire par rapport au passé. Pour Thomas Nagel, cela importe peu si dans des millions d’années ce que nous faisons maintenant n’aura pas d’importance. Pourquoi devrait-on penser que le futur est plus important que le passé et le présent ? Seachris pense que Nagel se trompe, il y a de bonnes raisons de penser que la fin est pertinente pour évaluer le sens.
5. Zones sous-explorées
- Un domaine sous-exploré concerne la relation aux autres valeurs (éthique, esthétique, eudémoniste, etc.). Relations conceptuelles, causales ou autres ? Y a-t-il réduction des unes aux autres ? Des vies immorales peuvent-elles être sensées ? Des vies malheureuses ?
- Un autre domaine est la relation entre le sens et la souffrance. Y a-t-il un sens au mal ? Le mal ne cesse pas d’être mal dans un univers significatif, mais il peut être plus supportable dans des conditions hospitalières. Le problème du sens est peut-être plus fondamental que le problème du mal. L’eschatologie joue un rôle important : Y a-t-il un espoir face au mal, à la souffrance et à la mort ? En quoi peut consister cet espoir ? Cela conduit à une discussion sur la mort et la futilité. Une vie post-mortem et la béatitude sont-elles un vœu pieux ou un désir naturel qui pointe vers un objet capable de le combler, comme la soif ?
- Un récit peut donner un sens à la vie. Autrefois, ils étaient essentiellement religieux. Mais avec la montée du naturalisme a émergé l’inquiétude que ce récit ne soit pas existentiellement satisfaisant. Il faudrait approfondir le rôle des récits dans le sens de la vie.
- Enfin, les marginalisés méritent une attention. Comment les théories du sens dans la vie peuvent-elles prendre en compte le cas des personnes handicapées ? Des prisonniers ? Des drogués ?