L’engagement est un concept vraiment difficile à définir parce qu’on le confond assez facilement avec des concepts relativement proches. On peut en proposer une définition assez large : le fait de s’obliger à agir en vue d’une certaine fin. On peut alors le distinguer du devoir, de la vocation, de la promesse et de la résolution.
Contrairement au devoir (moral ou légal), l’engagement n’est pas une obligation extérieure et nécessaire qui s’impose à moi. Je ne choisis pas mes devoirs moraux et légaux. Je ne choisis pas d’être tenu de ne pas griller les feux rouges. En revanche, je suis libre de mes engagements. Je peux m’engager ou ne pas m’engager dans une relation amicale ou conjugale.
Contrairement à la vocation, l’engagement ne résulte pas d’une inclination ou d’un penchant impérieux qui m’habiterait et que je laisserais s’épanouir. Je peux m’engager dans une profession pour laquelle je n’avais pas de vocation spéciale. L’engagement ne découle pas d’une identité profonde que je ne ferais qu’assumer.
Contrairement à la résolution, l’engagement n’est pas forcément délibéré ou volontaire. Je peux m’engager dans une voie professionnelle, sans l’avoir choisie, mais en raison d’un concours de circonstances. Je peux m’engager dans une relation, par habitude ou attachement affectif, sans m’en être rendu compte. Dans tous les cas, mon engagement m’oblige, mais son origine n’est pas délibéré ou volontaire. La résolution est un type d’engagement, mais tout engagement n’est pas une résolution.
Contrairement à la promesse, l’engagement n’oblige pas nécessairement envers autrui. On peut s’obliger soi-même sans contracter de devoirs envers autrui. Par exemple, on peut s’engager dans des études ou dans la rénovation de sa maison. Cela ne concerne que moi. La promesse est un type d’engagement, mais tout engagement n’est pas une promesse.
ENJEUX PHILOSOPHIQUES
Pour la promesse et les contrats qui nous obligent envers autrui, la nécessité sociale est évidente. À partir du moment où il y a des échanges et des unions, il doit y avoir des contrats pour en déterminer les termes et sanctionner les manquements (même si tout cela n’était que tacite). Tenir les promesses permet d’y croire, et donc de faire confiance, la confiance étant nécessaire aux échanges et aux unions. Selon Hannah Arendt, les promesses permettent de réduire les incertitudes sur l’avenir et de créer de la prévisibilité. Une justification de la légitimité politique (le contrat social) repose sur la promesse.
Le cas des engagements envers soi paraissent plus problématiques. Le fait de nous obliger nous-mêmes pourrait paraître paradoxal. Néanmoins, l’engagement permet notre épanouissement. C’est une thèse assez commune, défendue par exemple par Gary Chartier dans The Logic of Commitment (2018).
Les engagements nous apportent une structure et une direction qui nous permettent de façonner notre vie, d’avancer sur une trajectoire choisie ou assumée. Ils nous permettent de créer des identités stables et distinctes, ils sécurisent nos projets et nous permettent de lutter contre les fluctuations de nos sentiments.
Nos engagements nous permettent d’ancrer des habitudes pour nous disposer à atteindre un objectif, de condamner nos émotions et tentations qui peuvent contredire nos projets, ils sont en soi une raison de les poursuivre et il serait mal de les ignorer. Les engagements permettent de nourrir la maîtrise de soi, et conduisent donc à un cercle vertueux. Les engagements permettent de construire une histoire cohérente, une identité stable. C’est d’ailleurs parce qu’ils dépendent de notre identité qu’il serait irrationnel de céder aux tentations de rompre ses engagements.
En matière de relations sociales, le fait de tenir nos engagements nous fait percevoir comme étant plus fiables. Et en matière de relation conjugale, l’engagement permet de s’engager dans la durée afin d’atteindre une intimité plus grande, de vivre de façon solidaire et sécurisante, ce qui nourrit la relation elle-même. L’engagement permet de surmonter les fluctuations des sentiments et désirs.
Implications autres :
L’engagement implique une rupture de neutralité ou d’indifférence. Par l’engagement, je ne suis plus spectateur mais acteur dans le monde. Je participe à son histoire. Mais selon Sartre, cette position d’indifférence est de toute façon impossible : ne pas choisir c’est choisir. On approuve alors le monde tel qu’il est, c’est s’engager pour le statut quo.
Dans tous le cas, l’engagement est une décision ferme, il n’est pas sensé être modifiable. Prendre un engagement, c’est restreindre ses possibilités futures. Un engagement nous prive de liberté de possibles, mais accomplit une liberté de réalisation. On ne peut pas construire une famille sans s’engager avec une personne particulière.
L’engagement concerne des choses plus élevées que nos choix contingents quotidiens, selon Marcel Liberman (Commitment, Value and Moral Realism). Il n’est pas question de choisir une une marque de lessive, mais d’un choix de vie – même si le marketing joue évidemment sur l’importance de choisir leur produit. Nos engagements ne reposent pas sur des désirs passagers, qui peuvent changer et ne leur donnerait aucune force. Ils s’appuient sur des valeurs.
Toujours selon Liberman, nos engagements manifestent nos valeurs. C’est en fonction de nos valeurs que nous prenons des engagements. Nos engagements disent donc qui nous sommes. C’est parce qu’on s’engage en fonction de ses valeurs, qu’il serait irrationnel d’abandonner ses engagements, même face à une tentation. C’est une question de cohérence. Mais pour Sartre, c’est le contraire. Nos engagements nous définissent. Nous existons avant que notre identité soit définie, nous nous faisons nous-mêmes par nos choix et nos actes. Si nos engagements dépendent de notre identité, alors ils sont plutôt stables, dans le cas contraire, on peut en douter.
Nos engagements donnent un sens à notre vie, une profondeur, sans quoi celle-ci serait superficielle. Certes, les engagements rendent responsable et cela peut faire peur.
L’engagement n’est pas toujours bon. On peut s’engager à défendre une cause injuste, un scientifique qui s’engagerait à défendre une thèse perdrait son objectivité et sa neutralité.