Résumé de l’article « Loyalty » de la Stanford Encyclopedia of Philosophy.
La loyauté est considérée comme une vertu. Elle consiste à persévérer dans une association dans laquelle une personne est intrinsèquement engagée en raison de son identité. On peut être loyal à l’égard d’un ami, de la famille, d’une organisation, d’un pays, mais peut-être également d’un principe ou d’une abstraction.
1. La nature de la loyauté
La loyauté est une disposition pratique à persister dans un attachement associatif intrinsèquement valorisé. Cela implique un coût potentiel dans le fait de garantir ou de ne pas compromettre les intérêts ou le bien de l’objet auquel on est loyal. Dans la plupart des cas, une association que nous apprécions pour elle-même est aussi une association à laquelle nous nous identifions (c’est le « mien » ou la « mienne »).
Une disposition pratique ou seulement un sentiment ?
Certains pensent que la loyauté est uniquement, sinon principalement, un sentiment, parce qu’elle est souvent accompagnée de sentiments forts et de dévotion. Comme le dit Ewin, c’est un « instinct de sociabilité ». Mais il est douteux que les sentiments soient constitutifs de la loyauté. Le test de loyauté réside dans la conduite plutôt que les sentiments. Une personne loyale persévère dans son attachement même lorsque cela lui est désavantageux.
Ceux qui insistent sur les sentiments ont souvent l’intention de nier la présence de motivations rationnelles. Pourtant, la loyauté n’est pas nécessairement aveugle ou irréfléchie. On peut renier l’objet de sa loyauté si celui-ci fait preuve de manquements ou relève nettement ses exigences. Une loyauté peut primer sur une autre, d’autres valeurs peuvent l’emporter. Les loyautés non-sentimentales (par exemple celle d’un avocat envers son client) ne sont pas irréfléchie, elles trouvent leurs raisons dans le but de l’engagement et l’éthique professionnelle.
Certains évolutionnistes considèrent la loyauté comme un mécanisme adaptatif, un attachement ressenti aux autres qui a une valeur pour la survie (Wilson). La loyauté étant souvent sacrificielle, elle est orientée principalement vers la survie du groupe (West). Mais il n’est pas nécessaire que la loyauté soit motivée par les mêmes raisons qu’à ses origines et sa justification n’en dépend pas.
2. La structure de la loyauté
Loyauté et loyautés
On peut être loyal envers ses amis, sa famille, une organisation, une profession, un pays, une religion, etc. Cela s’explique par le fait que ces associations impliquent une profonde implication ou notre identité. Ce sont des « attachements associatifs intrinsèquement valorisés », ceux avec lesquels nous avons développé une certaine forme d’identification sociale. Nous en sommes venus à valoriser le lien associatif pour lui-même. Notre loyauté ne s’adresse pas à n’importe quel objet, mais à celui qui est le « nôtre » (ma famille, mon pays, etc.). Le bien de l’objet de la loyauté devient lié à son propre bien. Nous ressentons de la honte ou de la fierté dans leurs actions. Nous prenons des risques, acceptons des sacrifices pour eux.
Les associations envers lesquelles nous sommes loyaux ne sont pas forcement socialement approuvées (les gangs par exemple).
La loyauté est-elle intrinsèquement exclusive ?
Il est parfois suggéré qu’on ne peut être loyal envers un objet que s’il y a divers objets concurrents qui pourraient être l’objet de notre loyauté (Fletcher). Il est vrai que la loyauté consiste souvent à protéger un objet contre ses concurrents, à défendre ses intérêts par un sacrifice, et que les échecs de loyauté sont souvent des trahisons (par exemple, trahir son pays pour un autre en pleine guerre). Mais parfois la loyauté consiste simplement à répondre aux besoins de son objet sans qu’un tiers soit impliqué (aider un ami, être témoin à son mariage, etc.). La déloyauté peut se situer dans le fait de préférer son intérêt personnel et de refuser le coût de la loyauté.
Certains critiques de la loyauté considère la présence d’un concurrent comme une raison de considérer la loyauté comme intrinsèquement hostile. Être loyal à A, c’est être hostile à B (Carville). C’est possible en politique. Mais le chauvinisme n’est pas nécessaire à la loyauté patriotique, et dans la plupart des contextes le fait de privilégier un objet de loyauté n’implique pas d’être hostile envers les alternatives. La loyauté envers ses propres enfants n’implique pas nécessaire de dénigrer les autres enfants.
Universalité et particularisme
La loyauté est généralement considérée comme impliquant des obligations particularistes ou spéciales envers l’individu ou les groupes concernés. Il y a eu beaucoup de débats concernant la relation entre les obligations particularistes et les obligations universalistes dues à tous en vertu de leur humanité. Les obligations particularistes sont-elles subsumables aux obligations universalistes ou sont-elles dérivées de manière indépendante ? Dans ce dernier cas, sont-elles en tension permanente (obligation envers les pauvres vs obligation envers ses enfants) ? Comment les conflits sont-ils résolus ? Les lumières défendaient l’universalisme. Le conséquentialisme et l’universalisme kantien ont du mal à s’adapter à la loyauté. Comme le conséquentialiste William Godwin l’a notoirement demandé : « Quelle magie y a-t-il dans le pronom « mon » qui devrait nous justifier de renverser les décisions de la vérité impartiale? »
Bien que la plupart des théoriciens classiques aient eu tendance à accorder la priorité morale aux obligations universalistes, il y a eu des exceptions importantes. Andrew Oldenquist a plaidé pour la primauté de certains domaines communautaires définis par nos loyautés (« toute moralité est une morale tribale »), au sein desquels des considérations d’impartialité peuvent opérer.
Bernard Williams a fait valoir que si les revendications de l’universalisme sont prédominantes, elles éloigneront les gens de leurs « projets de terrain », où ces derniers incluent les attachement profonds associés aux loyautés. Williams a manifestement raison, même s’il a concédé que de tels projets ne sont pas insensibles aux défis universalistes.
De nombreux théoriciens systématiques de la morale tentent de subsumer les obligations particularistes sous des obligations universalistes plus larges. R.M. Hare, par exemple, a adopté une position conséquentialiste à deux niveaux qui cherche à justifier les obligations particularistes dans un schéma conséquentialiste plus large : nous contribuons plus efficacement au bien-être général si nous encourageons les obligations particularistes. Si les mères se préoccupaient de la même manière de tous les enfants du monde, il est peu probable que les enfants seraient aussi bien soignés. La dilution de la responsabilité affaiblirait son existence. Malheureusement, le simple fait d’être conscient de l’obligation générale peut suffire à évacuer l’obligation particulariste d’une grande partie de son pouvoir – et la remettre en question. De plus, on peut négliger la source distinctive de l’obligation particulariste – non pas tant dans les besoins des enfants que dans le fait qu’ils soient les siens.
Peter Railton a tenté de trouver une place aux loyautés dans un cadre conséquentialiste qui évite à la fois l’aliénation et les problèmes auxquels est confronté le système à deux niveaux de Hare. Selon Railton, le conséquentialisme objectif n’exige pas que l’agent moral décide consciemment de maximiser le bien. Une loyauté envers les amis et la famille, ou autre, peut maximiser le bien, même si, si l’on faisait un calcul conséquentialiste subjectif, cela saperait la loyauté.
Un autre système à deux niveaux, non-conséquentialiste, est suggéré par Alan Gewirth (1988), qui accorde la primauté au principe selon lequel c’est une condition nécessaire pour l’action humaine que tous se voient accorder des droits égaux à la liberté et au bien-être. Cet engagement, pense-t-il, sera également suffisant pour fonder des obligations particulières (loyauté personnelle, familiale, nationale). La liberté individuelle permet la formation d’associations volontaires, y « compris exclusives », tant qu’elles n’interfèrent pas avec la liberté fondamentale d’autrui. Elles ne sont pas simplement formées à des fins instrumentales, pour notre liberté, mais à cause de celle-ci. Comment résoudre les conflits entre obligations particulières et générales (envers sa famille vs aider les nécessiteux dans le monde) ?
Il se peut que les obligations particularistes doivent être considérées comme sui generis, produits non seulement de notre humanité commune mais de notre socialité, des liens associatifs qui deviennent constitutifs de notre identité et épanouissement. Reste, bien sûr, le problème des conflits entre obligations universalistes et particularistes. Scheffler (1997) soutient que les obligations particularistes sont « présumés décisives » en cas de conflit.
Les sujets loyaux
Un individu ou un groupe peuvent être loyal. Un individu loyal envers un groupe attend généralement que le groupe soit également loyal envers lui (Ogunyemi). Les organisations sont d’ailleurs souvent personnifiées.
On dit souvent que les animaux peuvent être loyaux (un chien envers son maître, les animaux sociaux). Si c’est un sentiment adaptatif, ce serait normal. Mais Fletcher observe que ce type de loyauté est limité parce qu’elle ne peut pas être trahie et n’est pas réfléchie.
Les objets de loyauté
Les objets de loyauté peuvent être des personnes (amis), des collectivités personnelles (famille), des organisation (entreprise) ou groupes sociaux (congrégation religieuse), etc. (Ladd, Baron). Néanmoins, il semble qu’on puisse être également loyal envers des principes, causes, idées (Royce, Konvitz).
Il y a des raisons de privilégier l’accent sur la loyauté interpersonnelle. Ces sont celles qui sont psychologiquement les plus puissantes (Walzer), elles tendent à garantir la viabilité et l’intégrité de nos associations humaines particulières.
Il existe néanmoins un lien important entre notre loyauté envers les personnes et les causes. Notre loyauté envers des personnes concorde avec nos valeurs, même si ce n’est pas une loyauté envers des valeurs. Si nous découvrons une discordance, nous essayons de provoquer un changement dans l’objet de notre loyauté, soit nous l’abandonnons parce qu’il aurait renoncé à son droit à notre loyauté. Si la loyauté persiste, c’est que la loyauté semble reposer sur un certain engagement envers un idéal associatif (« Il sera toujours notre fils »).
En théorie, l’humanité peut être objet de loyauté (Ladd). C’est particulièrement vrai si l’avenir de l’humanité est en jeu. Mais cela peut aussi générer des accusations de spécisme (Bernstein).
3. La loyauté comme vertu
Il y a plus d’accord sur le fait que la déloyauté soit un vice que la loyauté soit une vertu. Peut-être est-ce dû au fait que l’exigence de loyauté serve parfois à justifier des actes immoraux.
Certains, sur la base d’une théorie particulière de la vertu, nient que la loyauté soit une vertu. R.E. Ewin remarque que la loyauté peut être mal placée (envers un parti nazi par exemple) et oblige à suspendre son propre jugement moral, or les vertus sont intrinsèquement liées au bon jugement.
Il y a deux problèmes avec cette thèse. Premièrement, la compréhension des vertus peut être considérée comme trop restrictive. La conscience et la sincérité peuvent aussi être dirigées vers des objets indignes, ce n’en sont pas moins des vertus. Une vertu peut être défaillante. La loyauté oblige la persévérance et le sacrifice, elle peut aller contre notre intérêt personnel, il semble difficile de ne pas la considérer comme une vertu.
Deuxièmement, même s’il ne fait aucun doute que certains puissent exploiter une loyauté aveugle, on peut aussi exploiter une générosité ou une gentillesse excessive. On peut aussi s’opposer de façon loyale à l’objet de sa loyauté. On peut estimer que l’objet de sa loyauté à perdu ses droits. La confiance impliquée par la loyauté n’implique pas la crédulité.
La valeur de la loyauté est-elle réductible à la valeur de son objet ? Certains soutiennent que la valeur de la loyauté dépend de la valeur des actions commises par loyauté. D’autres estiment que la loyauté est toujours vertueuse, même si elle conduit à des actions immorales. La loyauté d’un nazi peut donc être évaluée de deux façons : négativement (sa loyauté aggrave le préjudice causé), ou au contraire positivement (un nazi déloyal se laissant soudoyer par des juifs désirant s’échapper est à la fois nazi et déloyal). Certes, la valeur d’associations particulières est importante dans notre appréciation de la loyauté, mais il est douteux que la valeur de la loyauté soit réductible à la valeur de l’association en question. Un personne incapable de former des liens de loyauté semble défectueuse.
Si la loyauté est une vertu, de quel type est-elle ? On distingue vertus substantielles (qui nous motivent à bien agir) et exécutives (importantes pour la mise en œuvre des vertus substantielles, comme le courage). La loyauté semble être une vertu exécutive, sa valeur est donc sensible à la valeur de son objet. Par exemple, on peut être un nazi loyal ou courageux. Mais un monde sans loyauté ou sans courage serait gravement déficient.
Les vertu exécutives sont un ingrédient important de l’excellence humaine, mais comme toute vertu exécutive, elle ne doit pas être cultivée isolément des vertus substantielles. Aristote a bien insisté sur le fait que les vertus devait faire l’objet de sagesse, ni déficientes, ni excessive, ni déplacées, elles doivent entre conçues dans leur unité.
Même en tant que vertu, la loyauté est-elle une vertu morale ? De fait, les types de vertus se chevauchent. Certaines vertus, comme l’imagination, le courage, la fiabilité peuvent s’exercer dans le sport ou par des soldats ennemis, comme dans des contextes louables moralement. C’est donc une question difficile à trancher.
4. Justifier la loyauté
Il y a beaucoup de contingence dans le développement des loyautés. Les loyautés envers la famille, la tribu, le pays, la religion émergent souvent presque naturellement à mesure que nous devenons conscients des relations sociales qui nous ont formés. Nos identifications peuvent être profondes et aveugles. Pour certains auteurs, ce non-choix distingue la loyauté d’autres engagements comme la fidélité (Allen, 1989). Mais la loyauté s’étend également aux engagements consciemment acquis.
Pour certains auteurs, la distinction entre loyautés choisies et non-choisies est essentiel. Simon Keller, par exemple, considère que notre réticence générale à remettre en question des loyautés non-choisies témoigne du manque d’intégrité souvent qualifiée de mauvaise foi. Il pense en particulier au patriotisme. Nous refusons de les considérer avec un esprit critique et sommes sur la défensive. Il peut y avoir une part de vérité, mais on ne peut pas l’étendre à toutes les loyautés non-choisies. On devrait pouvoir critiquer son pays comme ses amis lorsque leur comportement est douteux.
Certains ont traité les arguments en faveur de la loyauté associative comme s’ils étaient semblables aux arguments généraux en faveur des obligations associatives. Ils ont donc intégré les affirmations de loyauté dans des arguments d’équité ou de « devoir naturel de soutenir des institutions justes » pour les obligations associatives. Mais le parallèle ne marche pas. Nous pouvons remplir ces obligations sans aucun sentiment de loyauté. Les obligations de loyauté présupposent une identification associative que les obligations institutionnelles ne supposent pas.
Parmi les différentes justifications instrumentales de la loyauté, la plus crédible est celle développée par A.O. Hirschman (1970, 1974). Il suppose, avec de nombreux autres théoriciens institutionnels, que les relations sociales et les institutions valorisées ont une tendance endémique au déclin. Il prétend, cependant, que la vie sociale serait sérieusement appauvrie si nous transférions ou abandonnions nos affiliations associatives à notre avantage chaque fois qu’une institution sociale particulière ne parvenait pas à fournir les biens associés à notre connexion avec elle, ou chaque fois qu’un fournisseur plus compétitif apparaît. À ce titre, la loyauté peut être vue comme un mécanisme par lequel nous persistons (au moins temporairement) dans notre association avec l’institution (ou affiliation) tandis que des efforts sont faits pour la remettre sur les rails. La fidélité nous engage à sécuriser ou à restaurer la productivité d’institutions ou d’affiliations socialement valorisées. Dans la mesure où une institution ou une affiliation fournit des biens hautement désirés ou nécessaires aux gens, ils ont des raisons d’y être fidèles et, ceteris paribus, leur loyauté devrait être abandonnée au point où il devient clair que l’institution ne pourrait plus être réformée ou de ses efforts loyaux seront vains.
Mais aussi précieuse que puisse être la fidélité pour la réforme associative, il n’est pas clair que nous puissions lier sa justification uniquement à son potentiel de réforme. Car même dans un cadre généralement conséquentialiste, la loyauté peut jouer un rôle plus positif. L’ancien élève loyal qui fait don de 100 millions de dollars à un fond de dotation déjà en bonne santé contribue à l’avancement institutionnel plutôt qu’à endiguer le déclin institutionnel.
Plus fondamentalement, si la loyauté est considérée simplement en termes de bien que l’objet associatif est capable d’obtenir ou de produire, la valeur intrinsèque que l’association en est venue à avoir pour la personne fidèle est négligée, ainsi que le sentiment d’identification qu’elle exprime. C’est de ce sentiment d’identification que naît la loyauté.
Une explication alternative est que la loyauté est due à diverses associations comme une dette de gratitude. Le fait que nous soyons les bénéficiaires non-volontaires de certaines des relations associatives auxquelles nous sommes censés devoir certaines de nos principales loyautés – disons, familiales, ethniques ou politiques – a fourni à certains auteurs une raison de penser que la gratitude fonde de telles loyautés (Walker 1988, Jecker, 1989).
Mais les obligations de gratitude ne sont pas ipso facto des obligations de loyauté : le juif brutalisé qui a été sauvé par le bon samaritain avait peut-être une dette de gratitude mais il n’avait aucun dette de loyauté. La loyauté peut aussi être due là où il n’y a pas de motif de gratitude, comme cela peut être le cas entre amis. Les obligations de gratitude sont rétributives, tandis que les obligations de loyauté soutiennent les associations.
Il peut y avoir une raison plus profonde de penser que, dans certaines relations associatives, la loyauté doit être encouragée et démontrée. Elle réside dans la conception de nous-mêmes en tant qu’êtres sociaux. Nous sommes des créatures sociales qui sommes ce que nous sommes en raison de notre intégration et de notre implication continue dans des relations, des groupes et des communautés de toutes sortes. Elles font partie de qui nous sommes et font partie de ce que nous concevons d’une bonne vie pour nous. Notre obligation loyale envers eux découle de la valeur que notre association avec eux a pour nous.
Une justification aussi large ne dit pas quelles associations pourraient être constitutives de l’épanouissement humain. Il n’y a peut-être pas de liste définitive. Mais la plupart incluraient les amitiés, relations familiales, certains institutions sociales qui favorisent, soutiennent et sécurisent la vie sociale. Dans la mesure où nous acceptons que l’engagement dans ce type d’association soit constitutive de notre épanouissement, notre loyauté à celle-ci est justifiée, voir requise.
Les arguments qui justifient la loyauté ne justifient pas ipso facto le sacrifice illimité au nom de la loyauté, même s’ils ne l’excluent pas. C’est souvent le cas en temps de guerre et parfois pour certaines amitiés. La force des exigences de loyauté dépendra de l’importance de l’association pour la personne et de la légitimité de l’association. Certaines associations peuvent être illégitimes, mais peuvent aussi être en conflit avec une autre : on peut avoir des conflits de loyauté. On peut prioriser des loyautés sur d’autres, ce n’est pas être déloyal. Je peux m’occuper de ma mère mourante, ce n’est pas déloyal envers mes amis qui souhaiteraient ma présence. La priorisation peut néanmoins appeler à des excuses et à compensations. La déloyauté est plutôt un abandon égoïste ou hypocrite de la loyauté.
5. Limiter la loyauté
La loyauté n’implique pas nécessairement la complaisance et la servilité. Un sujet loyal peut critiquer pour corriger son objet. Mais une correction n’est pas une opposition, dans la mesure où elle reste compatible avec le bien ou les intérêts de l’objet de la loyauté. Ce n’est ni une rébellion, ni une révolution, qui mettraient en péril l’objet de la loyauté.
L’opposition au sein des structures dominantes a conduit certains à considérer la loyauté comme conservatrice. Elle garantit et préserve les intérêts de l’objet de la loyauté. Néanmoins, l’opposition n’exclut pas une plus grande radicalité en cas d’échec. Si la réforme est impossible, la sortie (sinon plus) peut être envisagée. Dans ce cas, l’objet de la loyauté n’est plus considéré digne ou perd sa prétention à celle-ci.
On peut probablement distinguer la loyauté à un type d’association (par exemple, un Etat) et une instanciation particulière (par exemple, les Etats-Unis). L’importance de la loyauté peut dépendre de l’importance d’une institution à l’égard de l’épanouissement humain. Par exemple, la justification du patriotisme dépend en partie de l’importance à accorder à un Etat ou un pays. On pourrait penser qu’il faut être loyal envers l’État en général, mais il doit s’incarner dans un Etat particulier, et la loyauté dont il devrait bénéficier peut être perdue selon la façon dont il agit.
La loyauté est perdue lorsque son objet ne se révèle plus digne ou capable d’être source de satisfaction associative ou de signification identitaire. Néanmoins, le point de rupture peut varier selon les personnes.
Est-il bien ou mal de rester loyal dans un tel cas ? On peut y voir un manque de prise au sérieux de l’idéal auquel l’objet devrait se conformer. Mais dans le cas contraire, on peut négliger notre fragilité commune et les possibilités de rédemption et de renouvellement. Même si on refuse à tomber dans le relativisme, il n’y a peut-être pas de réponse facile.
La dénonciation (les lanceurs d’alerte)
La question des limites de la loyauté peut être illustrée par le phénomènes des « lanceurs d’alerte », lorsqu’un employé dénonce publiquement un acte illégal ou immoral commis par son organisation.
Généralement, on attend des employés qu’ils soient loyaux envers leur employeur. Cela comprend le fait qu’ils ne compromettent pas les intérêts de leur organisation en révélant certaines informations à des personnes extérieures. Si les employés ont des griefs, ils doivent être traités en interne (« nous lavons notre propre linge »). Les arguments en faveur de la dénonciation sont donc motivés, premièrement, par l’idée que les mécanismes internes sont défaillants, et deuxièmement, par le fait que les intérêts du public extérieur sont en jeu, de telle sorte qu’il a le droit de savoir.
La dénonciation est considérée comme un acte de déloyauté parce qu’elle met en péril les intérêts de l’organisation (du moins tels qu’ils sont compris par l’organisation). Les dénonciateurs eux-mêmes estimeront souvent que la loyauté due a été perdue, ils ne sont donc pas en faute. Mais il peuvent aussi soutenir que la dénonciation a été commise par loyauté envers leur organisation.
La dénonciation doit tenir compte de plusieurs considérations : (1) En raison des perturbations qu’elle implique, elle ne devrait avoir lieu qu’en dernier recours. (2) Pour la même raison, la faute devrait être suffisamment grave. (3) Elle doit être bien fondée, reposant sur des preuves solides, pour être publiquement défendable. (4) Le potentiel lanceur d’alerte doit déterminer s’il a une obligation spéciale liée à son rôle, ainsi que sa capacité à évaluer la gravité et la responsabilité. (5) Il faut prendre en compte efficacité de la dénonciation à produire des changements. (6) La motivation doit au moins reposer sur le souci de ceux dont les intérêts sont menacés.
Il reste à savoir si la dénonciation est obligatoire ou simplement autorisée. Les coûts potentiels pour un dénonciateur pourraient excuser son silence. Bien qu’il existe des protections juridiques, elles sont souvent insuffisantes.
La dénonciation anonyme pourrait être une solution, mais elle ouvre la porte à des dénonciations motivées par de mauvaises raisons, erronées, ou imprudentes.
En bref, la dénonciation illustre l’importance de la loyauté et la prudence dont on doit faire preuve lorsqu’on affirme que la loyauté doit être légitimement abandonnée.